L'auteur s'appelle Lévy, aura
déjà remarqué le lecteur. et de plus il écrit dans Les Nouveaux Cahiers ; il
doit avoir quelque lien avec le judaïsme. Si l'auteur ajoute qu'il est praticien de la
démographie et responsable de Population et Sociétés , le bulletin mensuel de
l'INED, le lecteur le classera quelque part dans sa propre typologie des intellectuels
"d'origine juive" versés en sciences humaines. Pour affiner ce repérage,
l'auteur précise qu'il lit la Bible en profitant des modestes connaissances d'hébreu que
lui a données sa condition de juif français ayant fait sa bar-mitsva, et l'ayant fait
faire à ses deux fils. Quant à savoir quel est son degré dassimilation, chacun le
mesurera à l'aune de ses propres critères.
Cette entrée en matière montre que la célèbre définition de
Jean-Paul Sartre " Le Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour
Juif " ne vaut pas seulement pour les antisémites, mais fonctionne parfaitement
chez les Juifs eux-mêmes. Les disputes en Israël sur le thème "Qui est juif
?" portent en fait sur le problème de savoir quels sont ces "autres
hommes" qui auraient le droit, et le pouvoir, de décerner un certificat
d'appartenance, non pas à la race juive , notion hitlérienne, ni à la religion
juive , notion chrétienne, mais au peuple juif , notion qui reste à examiner.
Pour parler bref, l'auteur est un "bibliste" amateur, qui recourt, quitte à les
mélanger, aux intuitions qu'inspirent la lecture du texte biblique originel et de ses
traductions, à l'enseignement de la tradition rabbinique, plutôt celle de tendance
sadducéenne, et à une pratique personnelle de la sociologie juive.
Lhonnêteté oblige à indiquer que c'est en en milieu
protestant, fort attentif au texte biblique, que l'auteur a trouvé quelque curiosité et
sympathie pour sa démarche. Les catholiques et les juifs orthodoxes à qui il l'a soumise
n'étaient pas à proprement parler hostiles, encore qu'ils l'aient mis en garde contre
quelques relents de "syncrétisme", fort suspect à leurs yeux, mais à vrai
dire ils ne se sentaient pas vraiment concernés. Que le catholicisme occulte l'Ancien
Testament n'est pas nouveau. Mais d'une certaine façon la pratique pharisienne le fait
aussi. Elle a une telle révérence pour le Texte de la Torah, qu'elle préfère en
commenter les commentaires, plutôt que les renouveler.
La démarche consiste à dire : entre le singe et l'Homme, il y a un
chaînon manquant, tout comme entre l'Homme et Dieu. Ce chaînon, c'est la Bible.
Autrement dit, la Bible détaille, sans double emploi ni omission, les étapes
chronologiquement nécessaires à la transformation du singe en Homme. Et la lecture de la
Bible, l'étude de lÉcriture, permettent d'élever progressivement l'Homme vers
Dieu. Les désaccords entre juifs, et les désaccords des juifs avec les autres
"religions" qui prétendent s'abreuver à la Révélation biblique, ne portent
que sur le choix des intercesseurs qui présentent et commentent le Texte sacré. Et
plutôt qu'approfondir ces désaccords, étudions plutôt les étapes que définit la
Bible, en particulier la fondation du langage, que d'aucuns appellent la Parole, en
hébreu DBR.
Celle qu'on n'épouse pas
La Torah ne connaît que les "Hébreux" et les
"enfants d'Israël", mais non le "Yehudi ". Cette notion renvoie
d'abord, comme chacun sait, à Juda, quatrième fils de Jacob, dont le nom reproduit le
Tétragramme, béni soit-Il, à une lettre près, la quatrième. Elle évoque ensuite la
tribu, puis le royaume de Juda, l'exil des Judéens à Babylone, et s'applique pour la
première fois au personnage de Mardochée, présenté dans le Livre d'Esther comme ayant
quatre générations d'ascendance judéenne. A défaut de définir ce qu'est un juif pour
la Bible, prenons le problème à l'envers. Qu'est-ce qu'un "étranger", une
"étrangère", pour la Torah ?
Le thème de lÉtrangère apparaît très tôt, bien avant
qu'Israël soit formé en peuple. En Genèse 16, 1 et 3 , Agar, servante de Sarah, et
mère d'Ismaël, est désignée deux fois comme égyptienne, en hébreu
"mitsrite". Un peu plus loin, en Ge. 24,3 Abraham fait jurer à son serviteur de
ne pas prendre pour son fils, Isaac, " une femme d'entre les filles des
Cananéens parmi lesquels j'habite ". A noter qu'Abraham utilise le
"je" le plus majestueux, Onokhi, celui qu'emploiera lÉternel Lui-Même au
premier mot des tables de la Loi. Il faudrait donc traduire par quelque chose comme "les
Cananéens au milieu desquels j'ai l'honneur d'habiter ". On se rappelle que la
bru agréée sera Rébecca, restée en Mésopotamie, mais petite-fille du frère
d'Abraham, Nahor, et arrière-petite-fille de l'autre frère, Haran. La longueur que la
Bible consacre au récit de la mission d'Eliézer et de la rencontre, au soir, à la
fontaine, a toujours été considérée par la tradition juive comme témoignant de
l'importance que les parents doivent accorder au choix des conjoints de leurs enfants.
A la génération suivante, c'est Esaü qui est cause de l'amertume de
la dite Rébecca, devenue sa mère, parce qu'il contracte des "mariages mixtes"
: il épouse deux Hittites, dont l'une, en Ge. 26, 34 s'appelle d'ailleurs Judith, ce qui,
plus tard, signifiera "juive"; mais le nom ne fait rien à l'affaire. Une
interprétation, fondée sur un autre nom donné en Ge. 36, 2 veut d'ailleurs qu'Esaü ait
cherché à amadouer sa mère en lui racontant que sa femme s'appelait Judith. L'autre
épouse donnera à Esaü Eliphaz, le père d'Amaleq, éponyme de l'adversaire permanent
d'Israël. Croyant complaire cette fois à son Père, Isaac, Esaü va épouser en plus
Mahalat, fille d'Ismaël, et donc petite-fille d'Abraham (Ge 28,9 ) . Jacob, lui,
épousera les nièces de Rébecca, Léa et Rachel, qui seront les mères des enfants
d'Israël. Mais leur père, Laban, frère de Rébecca, est désigné en Ge. 31, 20 et 24
comme Laban l'Araméen , et, en effet, il parle cette langue puisqu'il appelle d'un nom
araméen la stèle commémorative de sa séparation d'avec le clan de Jacob, que celui-ci
appelle en hébreu Gal-Ed, Butte Témoin. Une tradition, très vivace à l'époque du
Second Temple et sous la domination romaine, qu'on retrouve dans le texte de la Haggadah
de Pessah', voit dans Laban l'archétype des gens parlant araméen et ignorant l'hébreu.
En plus de toutes les raisons explicites qui obligent Jacob à résider si longtemps chez
son oncle avant de revenir chez lui - la crainte devant Esaü, et les exigences de Laban -
cette tradition ajoutait sans doute qu'il doit apprendre l'hébreu à ses cousines, les
filles de Laban.
De ces histoires contrastées, Isaac et Ismaël, Jacob et Esaü,
peuvent donc se dégager les enseignements suivants :
1. Il existe des femmes qu'il vaut mieux éviter d'épouser.
Appelons-les des "étrangères".
2. Ces étrangères peuvent être des voisines tout à fait
respectables, les Cananéennes qu'Abraham refuse pour Isaac, que Rébecca reproche à
Esaü.
3. Elles peuvent être appelées "juive" : Judith.
4. Elles peuvent être ressortissantes d'une grande puissance : Agar
5. Inversement les femmes parmi lesquelles il est recommandé de
choisir une épouse peuvent habiter au loin : Rébecca
6. et parler une langue étrangère : Léa et Rachel. Mais dans ces
deux cas, de longues précautions doivent précéder le mariage.
Tout ceci donne des orientations, pas des indications. Comme Isaac et
Jacob épousent des cousines, on pourrait en déduire que se marier dans la parenté
proche, à l'exclusion évidemment de l'inceste, que commet Loth, neveu d'Abraham, et qui
sera abominé par le Lévitique, est finalement la meilleure garantie contre le risque
d'épouser une étrangère. Cette interprétation est sans doute l'origine des endogamies
juive et arabe, à laquelle s'opposerait l'exogamie chrétienne. La leçon serait : "
épouse ta cousine. Si elle habite au bout du monde, fais-la chercher. Si elle ne parle
pas ta langue, apprends-la lui ".
Mais à y regarder de plus près, jamais Abraham ne recommande à
Eliezer de choisir une parente. Simplement "tu iras dans mon pays et dans mon lieu
natal " (Ge. 24,4 ). Et le test d'Eliezer est de choisir celle qui lui donnera à
boire, à lui d'abord, puis à ses chameaux. Il se trouve que la Providence désigne ainsi
une cousine d'Isaac, mais cette qualité n'était pas décidée d'avance.
Une certaine similitude d'origine, et un caractère heureux et
généreux, semblent donc être des conditions suffisantes pour le choix d'une épouse.
C'est en général ce que retient le bon sens populaire, qui apprécie les couples bien
assortis, religieusement et socialement, et les choix guidés par les qualités
personnelles des conjoints. Au passage, il faut récuser ceux qui veulent convaincre de
racisme quiconque s'inquiète d'une trop grande différence d'origine des conjoints lors
du mariage d'un enfant.
La liste est donc longue de celles qu'il ne faut pas épouser : il y a
d'abord celles dont l'origine est trop proche : sa mère, puis ses surs, et toutes
celles minutieusement énumérées en Lévitique, 18; il y a celles dont l'origine
religieuse et sociale sont trop éloignées. Et il y a aussi toutes les femmes aigries et
égoïstes, qui ne versent pas d'eau à la fontaine. Cela fait beaucoup de monde. A
posteriori d'ailleurs, une fois marié, les étrangères sont toutes les autres, celles
qu'on n'a pas épousées.
Qu'est-ce qu'un goy ?
A ce stade, le lecteur trouve que l'auteur en prend à mon aise, et que
son "étrangère" ne répond pas à l'idée qu'il se fait de la
"goye", dont les mères juives craignent qu'elle ne séduise leur fils.
Demandons-nous donc si la Bible utilise le mot "goy" pour désigner l'étranger.
Remarquons d'abord que les étrangères citées jusqu'ici étaient
réputées telles parce que Égyptienne, Cananéenne, ou parce que leur Père était
Araméen. Le mot biblique pour étrangère est "nakheriah", par exemple en
Genèse 31, 15 quand Rachel et Léa, précisément, convainquent Jacob de partir avec
elles, parce que Laban, leur Père, qui a accaparé leur dot, les tient désormais pour
des étrangères. Mais rares sont les préceptes généraux concernant cette catégorie,
le principal étant de ne pas choisir parmi elle un éventuel Roi d'Israël
( Deutéronome, 17, 15 ). D'ailleurs en De. 23, 4 et 9 un traitement distinct,
pour les hommes, est fait des Ammonites et Moabites, qui "même à la dixième
génération ", n'entreront pas dans l'Assemblée de D' ( le mot hébreu traduit
par Assemblée, Qohel, a donné "Église" ), et des Edomites et des Égyptiens
qui pourront y entrer "dès la troisième génération ". Contrairement
aux apparences, ces notions trouvent des applications contemporaines. Ainsi les Allemands
traitent leurs résidents turcs, qui gardent leur nationalité de génération en
génération, comme des Ammonites, tandis que les Français, qui naturalisent par le
"droit du sol", on devrait plutôt dire "droit de l'école", traitent
les Algériens comme des Edomites.
Le mot "goy" apparaît dans la Bible dès Ge. 14, 1, où
Tidal, roi des Goyim, est un des protagonistes de la guerre des Rois, qui vont faire
prisonnier Loth. Ensuite il désigne les nations, par exemple en Ge. 22, 18 dans la
bénédiction d'Abraham après le sacrifice d'Isaac : "par ta descendance seront
bénies toutes les nations de la terre ", ou dans la question posée à Moïse en
De. 4,34 : " Y-a-t-il un (autre) Elohim qui ait extrait pour Lui une nation du
sein d'une nation , goy miqérev goy? ". Le sens que le mot "goy" a
pris en exil, désignant un individu et non plus une collectivité, passe par la
fréquentation des inconditionnels de toutes les institutions politiques, objets de
méfiance permanente des Prophètes. Cette méfiance vaut aussi, surtout peut-on dire,
pour le Royaume de David. En ce sens, d'éventuels Israéliens, qui mettraient
lÉtat sur le même plan que D', seraient aujourd'hui des goys, comme le sont les
catholiques qui commettent la même erreur avec l'autorité pontificale. Si le D'
d'Israël est un dieu jaloux, Il l'est surtout de quiconque prétend à la souveraineté.
Chez les Juifs de Provence, goye s'appliquait à la servante chrétienne, et a donné en
français provençal "goujat", et aussi "gouine", femme dont on
conviendra qu'il vaut mieux ne pas l'épouser.
Ne pas épouser les goyes, le commandement n'est donc explicite que
sous forme politique, quand lÉternel ordonne, dans tous les sens du terme, la
conquête de Canaan : "Ne conclus pas alliance avec les habitants du pays, de peur
que tu ne prennes de leurs filles pour tes fils " ( Ex. 34,
15-16 ) et " Lorsque le Seigneur, ton Dieu, aura délogé devant toi de
nombreuses nations (goyim) , (
) , tu ne t'allieras point par mariage avec
elles : tu ne donneras pas ta fille à leur fils, et tu ne prendras pas leur fille pour
ton fils " ( De. 7, 1-3 ). A chaque fois, la mise en garde est très
clairement justifiée par le risque d'introduire des cultes idolâtres au sein du peuple
en cours d'établissement dans sa Terre. On retrouve cette préoccupation quand des
parents, confrontés à un mariage mixte, s'inquiètent surtout de la religion dans
laquelle seront élevés leurs petits-enfants.
Tu aimeras l'étranger
"Goy" désigne donc l'idolâtre de n'importe quelle nation.
Pour désigner l'étranger, la Bible utilise le mot "Guer", qu'on traduit
souvent par " résident ", et qui connote un désir d'assimilation aux normes
ambiantes, les normes essentielles étant la langue du pays, et son calendrier. En Exode
18,3 , ce mot justifie le nom du fils de Moïse, Guerchom : dans le Décalogue, le
Commandement sur le Chabbat concerne aussi " le résident qui est dans tes
portes " ( Ex. 20, 10 ) ; et enfin : " Vous aimerez le Guer car vous
avez été des Guerim au pays dÉgypte " ( De. 10,19 ). Si
cette recommandation est nécessaire, c'est sans doute qu'il y a risque de préjugé
envers le Guer, comme le laisse à penser l'appellation même : lonomatopée
"gr" suggère l'agressivité, si bien qu'une traduction conservant mieux ce son
péjoratif pourrait être "migrant" : " tu aimeras le migrant, car
tu as été migrant au pays dÉgypte ". En somme le goy serait plutôt
le ressortissant étranger, tandis que le guer serait plutôt l'immigré résident. Comme
le nom de Agar est précisément constitué de l'article Ha, et du mot Guer, il est
loisible d'affirmer que Agar, c'est la migrante, comme en témoigne le mot arabe dont nous
avons fait "Hégire", et qui désigne le départ du Prophète à Médine,
départ aussi du calendrier musulman.
Mais ce "guer", il n'y a aucune objection à en épouser la
fille, dès lors que le risque d'introduire de nouveaux cultes est exclu. Même si c'est
une captive, une esclave, il suffit qu'elle se soumette aux rites de deuil et de
purification, qui ont inspiré les rites de la conversion au judaïsme ( De. 21,
12-13 ). Le converti est appelé justement "guer", avec il est vrai une
connotation de méfiance, souvent rappelée par les Rabbins. Il est bien connu d'autre
part que les mères bibliques ont des origines très diverses. Tamar la bru de Juda, fils
de Jacob, qui séduit son beau-père, est sûrement Cananéenne (Ge. 38 ); Ruth, femme de
Booz et arrière-grand-mère de David, est une Moabite, comme le savait Victor Hugo. La
femme de Joseph est lÉgyptienne Asnat, fille de Poti-Phéra prêtre d'On, mère
d'Ephraïm et Manassé ( Ge. 41, 50-52 ), et Tsippora, femme de Moïse, vient du pays
de Kouch, vraisemblablement lÉthiopie, ce qui suggère qu'elle était noire de
peau, hypothèse cohérente avec la scène, qui dénoncerait le racisme ordinaire, où
Aaron et Myriam calomnient leur belle-sur (Nombres 12,1). Inversement le roi Salomon
eut tort d'introduire de nombreuses étrangères dans son harem, non parce qu'elles
étaient nombreuses, mais parce qu'elles profanèrent de leurs dieux la Terre d'Israël,
ce qui provoqua le schisme ( 1 Rois, 11, 1-12 ). Tout ceci permet de comprendre d'où les
Rabbins ont tiré la règle selon laquelle est juif qui est né de mère juive : le seul
critère biblique pour devenir juif, c'est que personne ne peut prétendre l'être devenu
tant qu'il n'a pas engendré de juif.
On peut confronter cette définition à deux références apparemment
contradictoires. La première paraît encourager les mariages mixtes : dans Jérémie ,
chapitre 29, le Prophète, resté à Jérusalem, écrit à ses compatriotes de Diaspora,
à Babylone, pour leur dire, de la part de lÉternel : " Bâtissez des
maisons et habitez-y ; plantez des jardins et mangez-en les fruits; prenez des femmes pour
vos fils et donnez vos filles à des maris et qu'elles enfantent des fils et des filles ;
et multipliez-vous là et ne diminuez pas. Et cherchez la paix de la Ville où Je vous ai
transportés et priez l'Eternel pour elle; car dans sa paix sera votre paix "
(Jé. 29, 5-7). Mais la seconde, qui les combat en Erets Israël même, court, au retour
de l'Exil, dans les Livres d'Ezra et de Néhémie, quand le principal souci de ces
responsables semble d'éviter absolument toute union entre les Juifs, de retour dans la
Terre d'Israël, et les
comment dire ? palestiniens ?, qui l'ont souillée de leurs
cultes. Le texte (Ez. 10, 19) dit que les Israélites déjà mariés se sont engagés à
renvoyer leurs femmes étrangères, créant ainsi une catégorie de femmes répudiées.
Mais la dernière phrase du Livre d'Ezra, après une longue énumération, est " Tous
ceux-ci avaient pris des femmes étrangères (nakheriot), et il y en avait parmi
eux dont les femmes avaient eu des enfants " (Ez. 10, 44). Dans la Bible du
Rabbinat, ce verset est qualifié d'obscur. Il s'éclaire pourtant lumineusement si on
admet que le rédacteur termine sa relation du retour du Peuple élu en Terre sainte par
un point d'ironie, sur l'inapplicabilité des décrets d'Ezra. Le dernier mot est en effet
"Banym", enfants, de même que le premier mot de la citation de Jérémie,
"Bâtissez des maisons", se dit "Banou batym". "Bâtir" est
une heureuse traduction, rappelant la parenté entre les mots hébreux de la filiation et
de la construction : BT, fille, est proche de BYT, maison, et de Beit, seconde lettre de
l'alpha-bet, et première lettre de la Torah, et surtout "pierre" se dit Eben,
ABN, c'est-à-dire AB-BN Père-Fils. Ces voisinages, qu'on devrait enseigner dans les
écoles laïques, expliquent notamment le célèbre jeu de mots de Matthieu, 3,9 repris en
16, 18, quand Jésus dit à Simon, fils de Jonas : " Et moi aussi, je te dis
que tu es pierre; et sur ce roc, je bâtirai mon assemblée (Qohal) ". Ils
expliquent surtout que l'hébreu ne distingue pas la religion de la transmission. Quand
Abraham circoncit Isaac, il le fait fils en même temps que porteur de l'Alliance.
L'ange exterminateur
S'il s'avère, par voie de déduction, qu'un juif est celui qui
engendre un juif, la notion denfant d'Israël, dIsraélite en quelque sorte,
donne lieu à une législation particulière, à laquelle tous les statisticiens sont
particulièrement sensibles. Il s'agit de celle du dénombrement, énoncée en Ex. 30,
11-16 , appliquée deux fois, de façon exemplaire, par Moïse, au Livre appelé, pour
cette raison, des Nombres , et non appliquée par David, pour son malheur et celui
de son peuple, à la fin du deuxième livre de Samuel. Le châtiment de David est
laissé à son choix : trois années de famine, trois mois de défaites, ou trois jours de
peste. Il choisit le plus court, la peste, ce qui fit 70 000 victimes, rien que pour
lui prouver qu'il n'y a qu'un Seul maître de l'effectif d'un peuple, encore que, dans Sa
miséricorde, lÉternel retint le bras de l'Ange exterminateur avant qu'il ne frappe
le site de Jérusalem. Cette épisode a beaucoup inspiré les commentateurs et les
peintres. Saint-Simon, par exemple, peu soucieux d'un inventaire des grandes fortunes que
prétendait imposer le vieux Roi Louis XIV, en tire argument pour prétendre que recenser
est un péché. De même recenser les juifs serait interdit par la Loi, argument que
les Zélotes opposèrent au recensement romain, épisode qui fut à l'origine de la
légende de Salomé réclamant la " tête " de Jean-Baptiste, comme si l'impôt
de la capitation impliquait la décapitation. Une des complexités du Texte est que c'est
D' lui-même qui ordonne le recensement à David, encore que les Chroniques attribuent le
conseil à Satan. De fait, l'erreur de David, pour ne pas dire le péché, qui lui est
entièrement imputable, est de dénombrer Israël et Juda comme il l'aurait fait d'un
troupeau de bétail, sans aucune participation des recensés. Or précisément
lÉternel avait bien spécifié à Moïse que chaque fils d'Israël,
" depuis l'âge de vingt ans et au dessus ", riche ou pauvre, devrait
donner, en obole pour le service du sanctuaire, le plus petit signe monétaire existant,
le "demi-chéquel", ou demi-sicle.
Quand le dénombrement avait eu lieu dans le désert, "en comptant
nommément", les seules catégories apparaissant dans les résultats sont
l'appartenance à l'une des douze tribus, et pour celle de Lévi, la fonction sacerdotale
des différents clans, ainsi que la catégorie des premiers-nés, " comptés
nommément depuis l'âge d'un mois " ( Nb. 3, 43 ). Aucune mention
d'étrangers dans ces dénombrements, bien que l'on sache que des gens d'origines variées
s'étaient joints aux Hébreux lors de la sortie dÉgypte. Cela signifie que tout
mâle décidant de sa propre volonté de payer le demi-chéquel était réputé avoir
vingt ans ou plus, et faire partie d'une tribu d'Israël. De ce point de vue, être
israélite relève sans doute d'une décision libre et responsable, mais qui doit être
certifiée par celui qui reçoit les dons pour le sanctuaire : le lévite, recruté, lui,
dès l'âge d'un mois. Quant à l'absence des femmes de ces dénombrements, elle est
conforme à l'attitude constante de la Bible d'avoir en horreur toute confusion, en
particulier celles des sexes et des générations.
Loin d'interdire le dénombrement, la Bible l'ordonne, mais en fait une
opération à haut risque, obligeant à une grave réflexion sur la différence entre le
Roi dénombrant ses sujets, et le Berger comptant ses brebis. Mais ne pas compter est
aussi une erreur, qui ouvre la porte, nous le voyons tous les jours, au démagogue et à
l'injustice. Sinon, pourquoi Abraham marchanderait-il si obstinément le chiffre des
Justes de Sodome, et pourquoi Moïse donnerait-il tant de détails sur l'effectif de
chaque tribu ?
Tout ceci ne concerne-t-il que la définition de " juif " ?
Pas du tout, on peut l'appliquer à toute collectivité désireuse de respecter les droits
de l'Homme. On se souvient par exemple de la belle déposition d'Ady Steg, le Président
de l'Alliance, devant la Commission du Code de la nationalité. Cette Commission aurait pu
tirer d'une lecture attentive de l'Ancien Testament les principes suivants :
1. Les règles de naturalisation doivent être différentes pour les
hommes, les femmes, et les familles, et plus simples pour les femmes qui enverront leurs
enfants dans une école française, c'est à dire "qui font leur deuil" de leur
propre langue ;
2. Etre résident, et respecter , même inconsciemment ou
involontairement le calendrier local, ou payer la moindre cotisation sociale, est déjà
une forme d'adhésion qui peut donner des droits, par exemple celui d'obtenir sa
naturalisation sur simple demande;
3. Il ne faut pas créer une seule catégorie d'étrangers, mais
distinguer selon la motivation du séjour en France et selon l'origine, en favorisant les
cultures ayant des liens de toutes sortes avec la France;
4. Un minimum de solennité publique est nécessaire, pour prendre la
collectivité à témoin de l'entrée d'un nouveau membre. Ce pourrait être de calquer la
remise de la carte d'identité, ou celle de Sécurité sociale, sur le remise du livret de
famille lors du mariage civil.
C'est un devoir que la puissance publique s'informe sur toutes les catégories
d'immigrés présentes sur le territoire, et commande toutes les investigations
nécessaires, dès lors que les intéressés y participent librement et consciemment.
Une commission de « dénaturalisation » !...
Et maintenant la contre-épreuve. Il s'est trouvé un
"gouvernement" français, peine investi par les députés élus du peuple
français, pour livrer à leur persécuteur, et prochain assassin, des personnes qui
s'étaient placées sous la protection des lois de la France, puis, sans doute satisfait
de ce premier crime, pour créer une commission chargée de réexaminer les
naturalisations accordées par les précédents gouvernements, et de proposer l'annulation
rétroactive de certaines, qui eut lieu. Après le crime, cette prétendue création, à
laquelle rien n'obligeait que la déraison, était une abomination, un péché contre
l'Esprit, et pas seulement celui de la République et de la Déclaration des Droits de
l'Homme, péché qui aboutit à un concept contre nature, comme le montre son appellation
de " dé-natur-alisation ". Naturaliser, c'est imiter la nature, et la
nature ne revient jamais en arrière, comme il est écrit : " LÉternel
posta à l'entrée du Jardin dÉden les chérubins et la foudre du glaive tournoyant
pour garder le chemin de l'arbre de Vie " (Ge. 3, 24). Par cette " décision
" prise - sans consultation, et pour cause, des "intéressés" - dans le
mois même de son investiture (juillet 1940), le dit "gouvernement" se
déshonorait, c'est-à-dire se disqualifiait par le fait même, " ipso
facto ", et, quels qu'aient été les remords ultérieurs, frappait de nullité
toutes ses autres décisions, en particulier ses prétendus "actes
constitutionnels", justifiait toutes les formes de résistance et de rébellion, et
condamnait son chef, qui signait ces infamies, non pas à un procès dont le procureur
avait accepté de siéger dans la dite "commission de dénaturalisation, mais à ne
plus mériter la sépulture que ses anciennes vertus lui avait réservée. C'est la
République qui devrait enseigner cette histoire, comme dénonciation de ceux qui la
bafouent. Quant à lÉtat d'Israël, éclairé par des Sages de la Torah, il a
déjà résolu l'épineux problème des Falachas, il devrait paisiblement examiner le
statut d'éventuels enfants dIsraéliens épousant une Palestinienne, de
Palestiniens épousant une Israélienne, et des Juifs américains à la conversion non
cachère. Moïse a prévu le cas.
Le titre de cet article était quelque peu provocateur. Bien sûr que les non-juifs
existent. En se référant à l'étymologie du nom de Juda (Ge. 29, 35), les Juifs sont
les gens qui rendent grâce ('odeh) à lÉternel, béni soit son Nom. Les non-juifs,
ce sont tous les autres. Parmi ceux-ci figurent ceux qui classent et jugent les gens, et
les condamnent quelquefois à mort, sur leur seul nom. Si le français ne distinguait pas
Sem, fils de Noé, et Chem, "nom" en hébreu, on appellerait cette
catégorie particulière les antichémites. Quant aux autres non-juifs... rien
nempêche quils deviennent juifs, en étudiant et en transmettant la Parole.
Aux antichémites s'opposent ainsi les chemites, ceux qui disent : " Chema Israël
"