La Lune de la
Paix
Panoramiques,
n° 59, III/2002
Michel Louis Lévy
Le Projet
Hérodote, du nom du célèbre historien grec, ami de Périclès et de Sophocle,
qui avait voyagé en Babylonie et en Égypte, émanait du Conseil de sécurité
des Nations Unies. Il s’agissait d’ajouter un Institut d’histoire des
religions à la liste des institutions spécialisées de l’ONU. M. Kofi Annan,
prix Nobel de la Paix et ancien secrétaire général des Nations Unies, était
chargé d’en choisir le siège.
Il y avait
plusieurs candidats : la France proposait Paris, où siégeait déjà l’UNESCO,
à laquelle elle proposait de rattacher le nouvel organisme. La Grèce
proposait Athènes, à cause d’Hérodote, pour amortir les investissements
faits pour les Jeux Olympiques de 2004. La Syrie, fraîchement élue au
Conseil de Sécurité, poussait la candidature de Damas. En fait, les États
Unis comptaient bien imposer Jérusalem. Sous couvert de l’anonymat,
l’ambassadeur américain expliqua aux journalistes accrédités des grandes
agences de presse : « Puisque la méthode Barak de concessions maximales
et la méthode Sharon d’intransigeance absolue ont échoué, pourquoi ne pas
reconnaître tout bonnement que le problème n’est pas politique, mais
religieux ? au lieu de répéter que la question de Jérusalem est insoluble et
doit être gardée pour la fin, pourquoi ne pas commencer par elle ? »
L’institut Méton
M. Kofi Annan
entreprit alors une tournée internationale. Il rencontra Elie Wiesel à New
York, Salman Rushdie à Londres, M. Koïchiro Matsuura, directeur général de
l’UNESCO, à Paris, le Pape à Rome, le Dalaï-Lama à Dharamsala, au nord de
l'Inde, fut reçu par les chefs d’État au Caire, à Ryad, à Bagdad, Téhéran,
Beyrouth, Damas. A Jérusalem enfin, il fut accueilli séparément par les
Présidents de l’État d’Israël et de l’Autorité palestinienne, qui venaient
de conclure un n-ième accord de cessez-le-feu. Il alla se recueillir au
mémorial de Yad VaChem, s’inclina sur la tombe d’Itshaq Rabin et glissa
entre les pierres du mur des Lamentations un vœu en hébreu, arabe et anglais
pour le succès de sa mission. Le vendredi, il alla participer à la prière, à
la Mosquée El Aqsa, fut invité le samedi à la Grande Synagogue et le
dimanche à l’Église de la Dormition. De retour à Genève où il résidait, il
donna un communiqué aux Agences de presse.
Il souhaitait que les travaux de
l’institution à mettre en place servent de référence commune aux éducateurs
et enseignants de tous les peuples, d’abord de la région, ensuite du monde
entier. Il écartait l’idée que cette institution se consacre de quelque
façon à la théologie comparée, sujet de controverses infinies, et proposait
qu’elle soit principalement consacrée à l’étude historique et sociologique
des pratiques religieuses, tels le repos hebdomadaire, les fêtes annuelles,
les jeûnes, les pèlerinages, les rites liés à la naissance, au mariage, au
deuil… Pour commencer, il allait recommander au Conseil de sécurité de créer
à Jérusalem une institution rattachée à l’UNESCO
-
qui inventorie ce qui existait déjà, par exemple les
équipes qui étudiaient les Manuscrits de la Mer Morte, et leur permette, par
quelques renforts et crédits appropriés, d’en accélérer les publications et
les traductions ;
-
qui coordonne une chronologie universelle des
événements survenus entre Indus et Méditerranée, depuis la prise de
Jérusalem par Nabuchodonosor, en 586 av. J-C, jusqu’à celle de
Constantinople par les Turcs, en 1453 ;
-
et qui, pour les années en cours, publie les dates de
l’entrée du Soleil dans les signes du zodiaque et celles des phases de la
Lune, valables pour le méridien de Jérusalem.
Le catalogue était
disparate. Athènes, dépitée, fit savoir avec dédain qu’elle n’était plus
intéressée ; le projet Hérodote ainsi réduit à un simple « Institut Méton »,
elle en laissait volontiers la gloire à Jérusalem. L’Agence Reuter
plongea alors dans l’Encyclopaedia Britannica pour rappeler que Méton
était un astronome grec, contemporain d’Hérodote, auquel on devait le
« cycle de Méton », selon lequel 19 années solaires équivalent à 235 mois
lunaires. Associated Press, pour ne pas être en reste, précisa
le cycle de Méton était à l’origine du « nombre d’or », gravé en lettres
d'or sur un temple athénien, que l’Église catholique continuait d’utiliser
pour la fixation de la date de Pâques. Enfin Le Monde consacra un
cahier spécial à l’examen de quelques grandes controverses calendaires,
ainsi qu’aux articles sur l’histoire des calendriers julien et grégorien
qu’avait suscités le passage à l’an 2000.
Le Hamas et le Djihad
dénoncèrent un projet qui niait l’identité islamique de Jérusalem, Al
Qods, et en faisait une annexe de Princeton et Stanford. L’Autorité
palestinienne, soucieuse de ne pas fâcher son principal bailleur de fonds,
l’Arabie saoudite, proposa qu’un sommet de la Ligue arabe se tienne au plus
tôt. Pour se ménager la Syrie, elle proposait qu’il se tînt à Damas. Elle
organisa en attendant de grandes manifestations à Gaza et Ramallah, où
furent agitées des banderoles réclamant l’envoi de « Bush to Moon ».
Des coups de feu furent tirés en l’air, ce qui était contraire aux accords
de cessez-le-feu. Le commandement français de la mission d’observation des
Nations Unies ne bougea pas, ce qui suscita une protestation d’Israël auprès
du Quai d’Orsay.
Là-dessus, des États musulmans d’Asie et
d’Afrique observèrent que la question relevait de la Conférence islamique et
non de la Ligue arabe. L’Iran proposa qu’un sommet se tienne à Qom, la ville
sainte des Chiites, à quoi Saddam Hussein opposa un veto absolu. Finalement
l’accord se fit sur Samarcande, en Ouzbékistan, célèbre par ses « mosquées
bleues », qui sont en fait des écoles coraniques, et par l’observatoire
construit par Ulug Beg, petit-fils de Tamerlan, un des plus remarquables du
monde au Moyen Age, qui avait été détruit par des fanatiques et dont les
ruines ont été découvertes au début du 20ème siècle par
l'archéologue russe Viatkine. Un argument était la proximité entre Bagdad et
Samarcande, que rappelait la célèbre légende « Ce soir à Samarcande ». Le
rappel de cette légende jeta un froid, et malgré les efforts de l’Office de
tourisme ouzbek, le sommet fut renvoyé sine die.
L’internationalisation des Lieux
Saints
A Jérusalem, le Cabinet d’union nationale
se déchirait. Le ministre représentant le petit parti d’extrême droite du
« Troisième Temple », prônant la démolition des Mosquées et la
reconstruction du Temple, fort de trois députés indispensables à la
coalition gouvernementale, argua que M. Kofi Annan était Ghanéen et
musulman, et désigna ses propositions comme celles d’un « nègre arabe ». Il
fut lui-même traité de « nazi » par un collègue et menaça de démissionner.
Le Premier Ministre, pour le retenir, dut lui promettre l’augmentation de la
subvention aux recherches archéologiques du Saint des Saints, ce qui suscita
la colère du ministre des Finances, qui parla de sommes versées dans un
« trou sans fond », et du ministre des Affaires étrangères, qui rappela les
réserves de l’UNESCO sur ces fouilles. Finalement un communiqué affirma
qu’Israël n’avait besoin de personne pour calculer et publier les
éphémérides du Soleil et de la Lune à Jérusalem, se méfiait de l’UNESCO et
des organisateurs de la Conférence de Durban de 2001 et rejetterait tout
projet d’internationalisation des Lieux saints, cher au Saint-Siège. Pour le
reste, Israël s’en remettait aux autorités universitaires et religieuses
compétentes que le Président de la Cour suprême était chargé de consulter.
La question fut reprise dans un dossier du
Jerusalem Post sous le titre « Jérusalem, ville internationale ? ».
L’éditorial demandait quelles conséquences aurait la création de la nouvelle
institution des Nations Unies pour « Jérusalem réunifiée, capitale éternelle
de l’État d’Israël » et pour la souveraineté de l’État d’Israël sur le Mont
du Temple. Un diplomate expliquait qu’à New York, Genève et dans toutes les
villes où fonctionnaient des institutions des Nations Unies, des
arrangements particuliers étaient négociés avec les pouvoirs publics pour
définir certains privilèges d’extraterritorialité ainsi que les conditions
d’intervention éventuelle des polices locales, mais que personne n’avait mis
en cause la souveraineté des États-Unis sur New York, ni de la Confédération
Helvétique sur Genève. Un Rabbin anglais proposait de refaire du mont du
Temple, que les Musulmans appellent l’esplanade des Mosquées, une référence
chronologique et géographique universelle, comme à l’époque du Temple
d’Hérode et comme aujourd’hui l’observatoire de Greenwich, près de Londres,
dont personne ne nie qu’il est placé sous souveraineté britannique. Il
faisait remarquer que le Dôme du Rocher avait la forme d’un observatoire
astronomique et était construit à la verticale du Saint des Saints du Temple
de Salomon, non loin du Golgotha.
Quelques jours plus tard, l’Osservatore
Romano publia une interview de M. Kofi Annan.
Question : « Quelle sera la première
tâche de l’Institut Méton – si l’appellation grecque est retenue ? »
Réponse : « En collaboration avec les
spécialistes du monde entier, il aura à reconstituer pour le passé la
concordance solaire, lunaire et éventuellement stellaire, des calendriers
qui étaient utilisés, à telle époque et dans telle région, sur les pierres
tombales, dans les édits officiels, les actes d’état civil, les actes
notariés et les correspondances publiques et privées ».
Question : « Sera-t-il à même d’unifier
les dates de Pâques et de Noël dans les églises de rite romain et
orthodoxe ? »
Réponse : « Certainement pas. Si mes
suggestions sont suivies, il publiera, comme je l’ai indiqué, la date et
l’heure des Pleines Lunes avant et après l’équinoxe de printemps, au
méridien de Jérusalem. Il désignera en particulier la « lune de printemps »,
la première Pleine Lune après l’équinoxe. Libre aux églises d’en tenir
compte ou non et à leurs fidèles de les suivre ou non ».
Question : « La chronologie universelle
envisagée a-t-elle pour ambition de mettre fin aux polémiques sur la date de
naissance de Jésus-Christ ? »
Réponse : « Non. La naissance de Jésus,
ni d’ailleurs sa Crucifixion, ne sont pas des événements historiques
attestés, et ne figureront pas dans la chronologie. En revanche,
l’utilisation du calendrier julien, la mise au point du texte des Évangiles,
les célébrations attestées de fêtes de la Nativité ou de la Résurrection le
seraient et pourraient y figurer. Il en sera d’ailleurs de même pour la mise
au point du Coran, la pratique du Ramadan ou celle du pèlerinage à La
Mecque. »
Il pleut bergère
Les milieux intégristes musulmans,
scandalisés qu’on puisse nier que le Coran ait été révélé au Prophète par
l’archange Gabriel, crièrent de nouveau à la collusion des Sionistes et des
Croisés. Mais la presse internationale préféra mettre en évidence la « Lune
de Printemps », Spring Moon. Tous les restaurants chinois ainsi
appelés de par le monde en tirèrent une publicité inattendue. Quant aux
chancelleries, celle de la Grèce en tête, elles notèrent avec satisfaction
que les propositions de M. Kofi Annan étaient peu coûteuses et proposèrent
chacune un éminent compatriote pour diriger le futur Institut Méton.
Vint alors de Paris une
proposition spectaculaire. Le Président de la République française et le
Premier Ministre, parlant d’une seule voix, proposaient de donner aux lunes
successives les noms, tombés en désuétude, du calendrier républicain :
Germinal, Floréal et Prairial au printemps, Thermidor, Messidor et Fructidor
en été, Vendémiaire, Brumaire et Frimaire en automne, Nivôse, Pluviôse et
Ventôse en hiver. Et quand, ajoutait le communiqué, un treizième nom sera
nécessaire, ce pourrait être celui d’Églantine, en hommage à l’inventeur de
ces noms, le poète Philippe-François Nazaire Fabre d'Eglantine, né à
Carcassonne le 28 décembre 1755, auteur de la célèbre comptine « Il pleut
bergère » (1780). Fabre avait proposé ces noms à la Convention le 24 octobre
1793, qui devenait ainsi le 3 Brumaire de l'an II ; il avait été guillotiné
à Paris le 16 Germinal an II (5 avril 1794). Ce nom d'une fleur printanière
était pertinent, puisque cette lune tomberait, les années où elle serait
utilisée, entre l'hiver et le printemps, entre Ventôse et Germinal,
vers le mois de Mars. La France laïque soutiendrait toute règle astronomique
simple de désignation de la lune de printemps, celle de Germinal, par
exemple "première Pleine lune après l'équinoxe de printemps", qui puisse
servir de référence commune pour expliquer et faire connaître les divers
systèmes fixant des rites religieux.
Ce fut l’enthousiasme. Il y eut bien
quelques pays où l’on se plaignit de l’arrogance linguistique des Français,
et quelques protestations dans l’hémisphère sud, où les saisons étaient
inversées, mais quand Le Monde eut calculé que les attentats du Onze
septembre 2001 avaient eu lieu le 24ème jour de la lune de
Fructidor, quand Steven Spielberg, depuis Hollywood, eut annoncé la
prochaine réalisation d’une superproduction sur la Révolution française,
avec Hugh Grant dans le rôle de Fabre d’Eglantine, chacun sut que Kofi Annan
avait gagné la première manche. Dans tous les pays de la zone euro, où on
avait pris le goût des conversions, les journaux publièrent des tables de
correspondances entre les dates solaires, les dates lunaires notées avec les
appellations républicaines et les signes du zodiaque, et chacun calcula sa
date lunaire de naissance. Les horoscopes se compliquèrent.
Le Vatican était fort embarrassé.
Dans cette affaire, le judaïsme et l’islam, dont les calendriers étaient
lunaires, avaient partie liée contre le christianisme, qui avait imposé au
monde l’« ère chrétienne », le repos dominical et le calendrier
« grégorien », celui du Pape Grégoire XIII. Une fuite d’un journal de Zagreb
révéla bientôt que des négociations s’étaient engagées avec les églises
orthodoxes auxquelles Rome proposait d’échanger Noël contre Pâques. Les
églises orthodoxes renonceraient au calendrier julien et accepteraient enfin
la réforme grégorienne, ce qui unifieraient les dates de Noël, le 25
décembre, et du Jour de l’An, le 1er janvier, dans toute la
chrétienté. En échange de quoi, Rome était prête à revenir aux décisions du
Concile de Nicée, de l'an 325, fixant la date de la Résurrection "au
premier dimanche qui suit la Pleine Lune d'après l’équinoxe de printemps "
et à renoncer au système auquel personne n’avait jamais rien compris du
nombre d'or, de l'épacte et de la lettre dominicale, sans
parler de l'indiction romaine et des écarts entre la "lune
ecclésiastique" et la "lune vraie". La Serbie orthodoxe et la Croatie
catholique étaient invitées à parrainer cette négociation, qui pourrait
avoir lieu en terrain neutre, à Sarajevo, en Bosnie, mais qui s’annonçait
difficile, parce que les églises orthodoxes étaient loin d’être d’accord
entre elles. Le premier problème surgirait en 2008, année où une Pleine Lune
tombait le 21 mars, le jour de l’équinoxe, où Pâques était prévue le 23
mars, particulièrement tôt, alors que la Pâque juive, Pessah’, sur
laquelle se calaient certaines églises orthodoxes, aurait lieu cette année
là du dimanche 20 au dimanche 27 avril, particulièrement tard.
Un colloque à Hébron
On apprit ensuite que Bill Gates,
le patron de Microsoft, et Ted Turner, celui de CNN, proposaient de doter le
projet Hérodote d’une somme faramineuse qui permettrait à l’UNESCO de
construire en complexe ultramoderne incluant un centre de conventions, une
piscine olympique et plusieurs hôtels allant du « trois étoiles » au grand
luxe. Le roi d’Arabie et les émirs du Golfe offrirent de leur côté une somme
comparable, à condition que le complexe soit construit à Hébron, en
Palestine, à 35 km au sud de Jérusalem. Des Juifs orthodoxes demandèrent que
la piscine soit fermée le Shabbat et que les femmes et les hommes ne s’y
baignent pas le même jour. Des fondamentalistes musulmans exigeaient, eux,
le port du voile couvrant le corps entier. M. Koïchiro Matsuura créa un
groupe de travail de l’UNESCO sur le sujet et, pour commencer, décida
d’installer le siège de l’Institut Méton dans une vieille auberge de
pèlerins de la ville arabe de Jérusalem et de tenir un premier colloque à
Hébron.
Les prix de l’immobilier
flambèrent alors dans toute la région. Plusieurs projets de centres
commerciaux et de parcs touristiques virent le jour. L’Autorité
palestinienne fit savoir que l’Islam, religion de paix, avait tout intérêt
aux querelles entre Chrétiens et Juifs, que tout attentat nuirait donc
gravement aux intérêts arabes et serait impitoyablement réprimé. Le Hamas et
le Djihad se transformèrent alors en partis politiques et firent campagne
pour la proclamation immédiate de l’État palestinien. Perplexe, l’État
d’Israël offrit de rouvrir des négociations sur la base des propositions du
Président Clinton de Camp David en 2000. Discrètement, le ministre israélien
des Affaires étrangères fit savoir qu’en contrepartie de l’installation de
quelques yechivot (écoles talmudiques) et commerces israéliens à
Hébron, Naplouse et Djenine, Israël pourrait fermer les yeux si de paisibles
citoyens palestiniens achetaient des logements dans les « implantations »
israéliennes des territoires.
Le colloque d’Hébron, auquel
participèrent plus de 4000 savants venant du monde entier, fut consacré au
cycle de Méton. 19 années, comprit-on, cela fait 19 fois 12 soit 228 mois
solaires. Comme cette durée est celle de 235 lunes, l’année juive intercale
une treizième lune sept fois en dix-neuf ans. Dans chaque cycle de dix-neuf
ans, il y a donc sept années « embolismiques », c’est-à-dire « grossies »,
qui ont treize lunes, et douze années normales qui n’en ont que douze. Ainsi
dans les dix-neuf ans allant de 1989 à 2008, les années embolismiques sont
1989 1992 1995 1997 2000 2003 2005 2008, soit cinq intervalles de trois ans
et deux intervalles de deux ans : 1995-97 et 2003-05. La lune intercalée
dans le calendrier juif ne porte pas un treizième nom. On redouble le nom de
la douzième lune, Adar (Ventôse dans la proposition
française), et la treizième, quand elle est nécessaire, est dite Veadar,
ou Adar II. Les Français proposaient Églantine au lieu de
Ventôse II.
Chaque fois que le calendrier
juif intercale sa treizième lune, le Ramadan, qui revient toutes les
douze lunes, se décale. Le Ramadan coïncidait avec Adar II,
Eglantine, en 1992. En 1993, 1994 et à l’hiver 1995, c’était avec la
lune d'Adar, celle de Ventôse. Il s’est décalé d'un cran au
printemps 1995 pour coïncider en 1996 et 1997, avec Chevat du
calendrier juif, Pluviose dans la liste républicaine. En 1997, la
lune de Chevat, Pluviose, Ramadan allait du 9 janvier au 6 février.
Du 10 mars au 8 avril, il y a eu intercalation de la treizième lune Adar
II, Eglantine. Du coup le Ramadan suivant s’est décalé, pour coïncider
avec la lune de Tevet Nivôse qui commence le 30 décembre, 354 jours
après le 9 janvier. En 1997, il y a eu le Ramadan en janvier et le début du
Ramadan suivant en décembre.
Cette façon de "traduire" dans
les noms du calendrier républicain les noms des lunes du calendrier juif
apparut d’une grande commodité. La remontée du Ramadan dans le cycle
des saisons, due au fait que douze lunes ne représentent que 354 jours, soit
onze de moins que l'année solaire de 365 jours, devenait accessible à la
conscience commune. Comme le Ramadan remonte de onze jours par an, et
que 11 fois 33 égale 363, il lui faut 33 ans pour remonter toute l’année :
c’est en 2030 qu’il y aura de nouveau deux Ramadan dans la même année
grégorienne. Certains congressistes virent dans cette période de 33 ans
l’origine de la tradition selon laquelle Jésus avait été crucifié à 33 ans.
Fin 1997, 1998 et 1999, le
Ramadan a coïncidé avec la lune de Tevet Nivôse. Puis en 2000, 2001,
2002, avec celle de Kislev Frimaire. En 2003, il y a intercalation d’Adar
II et nouveau décalage du Ramadan, qui en 2003 et 2004, coïncide
avec Hechvan Brumaire. On apprit ainsi que la règle d'intercalation
de la treizième lune que respecte le calendrier juif est légèrement
erronée : l'année solaire juive (il serait plus correct de dire " la
19ème partie d'un cycle de 19 années - 235 lunes - juives " ) mesure
365,24696 jours au lieu de 365,24220, soit un excès de 0,00476 jour par an :
tous les 210 ans, soit 11 cycles de 19 ans (11x19=209), il y a un jour
d'écart, et le cycle annuel des fêtes juives recommence un jour trop tard.
Le Carnaval de Pourim
Les savants israéliens firent
observer que depuis la "mise en service" du système actuellement en usage,
vers l'an 4600 de la Création du monde (840 ap. J.-C.), voici 11 siècles, la
dérive n'est que de 5,5 jours, alors que la dérive julienne était, en 1582,
de 10 jours en 12 siècles. Mais ils admirent que Pessah , la Pâque
juive censée marquer la Pleine Lune de Printemps, commence quelquefois après
le 21 avril, c'est-à-dire plus d'un mois après l'équinoxe de printemps.
C'est arrivé le 24 avril 1986 (5746) et le 22 avril 1997 (5757), cela
arrivera de nouveau le 24 avril 2005, ce qui fait que le dimanche 1er mai
2005, ce serait le dernier jour de Pessah’, marquée en Israël par la fête
marocaine de la « Mimounah ». La Mimounah était déjà tombée le 1er
Mai, en 1986, dix-neuf ans avant 2005. Dix-neuf ans après, en 2024, elle
reviendrait au 30 avril, mais dix-neuf ans plus tard, en 2043, elle
tomberait le 2 mai, et continuerait ainsi à dériver lentement, sauf
mini-réforme de calendrier, qui fasse dépendre l'intercalation du mois d’Adar
II de la constatation d'un phénomène astronomique, comme au temps du
Temple de Jérusalem : l’intercalation de la lune d’Eglantine entre
Ventôse et Germinal
Une fort
intéressante communication d’un chercheur belge expliquait que
l’intercalation de la lune avait pour effet de donner trente jours de plus
aux Juifs, dispersés de Babylone à Alexandrie, pour venir sacrifier l'agneau
pascal à Jérusalem. Il avançait l’hypothèse que c’était pour prévenir la
population à temps qu’au temps d’Alexandre le Grand ou de ses successeurs,
les Rabbins avaient institué, à la Pleine lune précédant celle de Pessah’,
une sorte de Carnaval, appelé "Pourim", fondé sur le livre d'Esther,
dont l'histoire se passe en Perse. Du coup, une violente polémique se
déclencha en Israël sur le point de savoir quand avait été composé le livre
d’Esther, à quel roi perse il fallait identifier Assuérus, et depuis
quand était célébrée Pourim.
Peu de temps après le colloque d’Hebron, le
directeur de l’UNESCO nomma un savant ouzbek, celui qui dirigeait les
fouilles de l’observatoire d’Ulug Beg à Samarcande, directeur de l’Institut
Méton et publia le programme du projet Hérodote. Des colloques seraient
consacrés sans préjuger de leur ordre
-
à l’histoire de l’adoption de la semaine de sept
jours et de la célébration dominicale de l’Eucharistie ;
-
à l’explication de la remarquable exactitude des
règles juive et musulmane qui fait que les mois lunaires coïncident toujours
avec la lune ;
-
aux rapports du Prophète Mahomet avec les pratiques
juives du jeûne de Yom Kippour, du pèlerinage de Soukkot, la fête des
Cabanes, et de l’intercalation de la treizième lune ;
-
au calendrier des Égyptiens, et de ses liens avec la
crue du Nil ;
-
au calendrier des Samaritains et à ceux des livres de
Hénoch et des Jubilés qui conservent la Création du Monde en
une semaine de sept jours, mais qui décident que l'année a exactement 52
semaines, soit 364 jours ;
-
à l’histoire de la fixation de Pentecôte, fête des
Semaines, fête des Prémices de la moisson, 49 ou 50 jours après Pâques ;
-
à l’histoire du Seder juif de Pessah’
et de la Haggadah, lue à cette occasion.
L’équipe interconfessionnelle qui publiait
les Manuscrits de la Mer Morte, qu’on avait peu entendue jusqu’alors, fit
une proposition : si les Juifs reportaient l’année embolismique de 2005 à
2006 et avançaient donc d’une lune Pourim et Pessah’ de 2005,
alignant Pessah’ sur Pâques 2005, le 27 mars, alors les
Catholiques pourraient retarder d’une lune Pâques 2008 du 23 mars au 20
avril, alignant Pâques sur Pessah’ 2008, du 20 au 27 avril.
Immédiatement le Rabbi des Loubavitch rappela que nul autre que le Messie ne
pouvait modifier le calendrier juif ; à quoi l’éditorialiste de Maariv
répliqua qu’il y avait une solution : reconnaître Kofi Annan comme le
Messie.
Sur ces
entrefaites, le Président du Bnai Brit publia dans le Washington
Post un article très favorable au projet Hérodote. Les Nations Unies,
expliquait-il, ont rétabli l’État d’Israël en 1948. Voilà qu’elles
s’apprêtent à reconnaître qu’au temps d’Hérodote, cinq siècles avant Jésus,
onze siècles avant Mahomet, Jérusalem était déjà une capitale politique et
Hébron un site religieux, que la loi de Moïse incluant les Dix
Commandements, le Shabbat et les pèlerinages était déjà appliquée, que
c’était à Jérusalem qu’était déterminé chaque mois si le premier jour de la
lune, celui où apparaît le premier croissant, tombait 29 ou 30 jours après
l’apparition de la lune précédente et, chaque année, si la première Pleine
Lune du Printemps tombait douze ou treize lunes après la précédente. C’était
beaucoup plus que n’en avait jamais espéré le peuple juif dans ses rêves les
plus fous.
Il terminait par
la remarque suivante : contrairement à une idée reçue, Jérusalem n'est pas
"la ville de la paix". Certes ŒYR, ‘Yr, c’était la ville, mais YRE,
Yare’ha, c'est la lune. Yeruchalaïm, YRWSLYM, ce serait plutôt la
"Lune de la paix". C'est le Temple de Salomon, Chlomo, fils de David, qui
est le "Temple de Sa paix". N’y a-t-il pas un parallèle entre l'antique
souhait qui clôt la Haggadah de Pessah’ de se retrouver «
l'année prochaine à Jérusalem » et celui de l’Évangile de Luc (2,14) qui
promet « la Paix sur la Terre aux Hommes de bonne volonté » ?