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Michel Louis Lévy
Administrateur de l'INSEE, en retraite
Membre du Conseil de surveillance de la CNAF
Co-fondateur et ancien président du Cercle de Généalogie Juive
Membre fondateur de Judeopedia.org

 

Le méridien de Jérusalem
janvier 2002

Michel Louis Lévy

Depuis l’an 2000, nul n’ignore plus que Jules César, en 45 avant l’ère chrétienne, institua l’année « julienne » de 365 jours ¼ et que le pape Grégoire XIII, en 1582, par une légère correction, donna naissance à notre année « grégorienne » de 365,2425 jours. Mais une question reste en suspens : pourquoi l'équinoxe de printemps tombe-t-il le 21 mars ?

 

Équinoxes et solstices

L’astronome Sosigène d’Alexandrie, consulté par César, avait placé l’équinoxe au 25 mars. 370 ans plus tard, en l’an 325 de l’ère chrétienne, le concile de Nicée, fixant Pâques au dimanche après la Pleine Lune qui suit l'équinoxe de printemps, constata que, cette année-là, l'équinoxe tombait le 21 mars et non plus le 25. Sur les quatre jours de décalage, trois sont attribuables à l'imprécision du calendrier julien, trop long d'un jour tous les 128 ans, et le quatrième au fait que les premières années du calendrier julien furent approximatives ([1]). En 1582, Grégoire XIII, supprimant dix jours et non quatorze, rétablit l'équinoxe à la date qu’avait constatée le Concile de Nicée, le 21 mars, mais non à celle qu'avait décidée César, le 25 mars. Mais cela n’explique pas pourquoi Sosigène a fixé l'équinoxe de printemps le 25 mars, date qui sera celle de l'Annonciation, neuf mois avant la Nativité, Noël, le 25 décembre.

S’il est habituel de rapprocher les règles féminines du cycle lunaire, il faut constater aussi que les neuf mois de la grossesse, trois saisons, s’inscrivent aisément dans le cycle solaire des quatre saisons. Comparer le miracle de la conception humaine à la résurrection printanière de la végétation (Papa plante "une petite graine") et cet autre miracle qu’est la naissance d’un enfant à la renaissance hivernale de la lumière (Cet enfant sera une lumière) sont des métaphores naturelles. Il est bien possible que des cultes en usage à Alexandrie du temps de Sosigène célébraient la fécondation à l’équinoxe de printemps et la naissance au solstice d’hiver.

A vrai dire, les Évangiles ne disent quand naît Jésus. Mais Luc (1, 36) place les conceptions de Jésus, fils de Marie, et de Jean (Baptiste), fils d'Elisabeth, à six mois d'intervalle : Et voici qu'Élisabeth, ta parente, vient, elle aussi, de concevoir un fils dans sa vieillesse, et elle en est à son sixième mois, elle qu'on appelait la stérile ([2]). Et le verset 3-30 de Jean précise : "Il faut que lui (Jésus) grandisse et que moi (Jean) je décroisse ". De là, l’institution de la Nativité de Jésus au solstice d'hiver, après lequel la durée du jour croît, et de la Nativité de Jean (la Saint-Jean) au solstice d'été, après lequel les jours diminuent.

 

Hanoukka et Noël

Le choix du 25 du mois renvoie au 25 Kislev, date de la fête juive de Hanoukka. Kislev est la neuvième lune si on commence par celle de Nisân, au printemps, la troisième si on commence par celle de Tichri, à l’automne. Hanoukka tombe donc au voisinage du solstice d’hiver. Deux lunes ont ensemble 59 jours (30 et 29). Comme 59 + 25 font 84, le 25 Kislev est le 84ème jour en partant du 1er Tichri, Roch Hachanah, célébration instituée par Lévitique 23, 24. Hanoukka, qui dure huit jours, est au contraire inconnue de la Bible hébraïque : elle a été instituée par les livres des Macchabées, qui racontent la saga de Judah Macchabée et de ses frères, fondateurs de la dynastie « hasmonéenne » qui régna à Jérusalem, au temps du Second Temple.

Le premier livre des Macchabées, originellement écrit en hébreu, semble avoir été rédigé pour servir de chronique officielle de la dite dynastie ([3]). Dès le début, qui dénonce les profanations du roi grec Antiochus Épiphane, apparaît la mention du « 25 de chaque mois », enjeu de graves affrontements. "Le quinzième jour de Kislev en l'an 145, le roi construisit l'Abomination de la désolation sur l'autel des holocaustes et, dans les villes de Juda circonvoisines, on éleva des autels. Découvrait-on chez quelqu'un un exemplaire de l'Alliance, ou quelque autre se conformait-il à la Loi, la décision du roi le mettait à mort. Le 25 de chaque mois, on sacrifiait sur l'autel dressé sur l'autel des holocaustes. Les femmes qui avaient fait circoncire leurs enfants, ils les mettaient à mort, suivant l'édit, avec leurs nourrissons pendus à leur cou, exécutant aussi leurs proches et ceux qui avaient opéré la circoncision".

En quoi se distingue le 25ème jour de chaque lune ? La lune brille 26 nuits d’affilée dans le ciel, et disparaît trois ou quatre nuits. Il est logique d’observer sa disparition et sa réapparition à partir du 25ème jour, et ce pendant six à huit jours. De même, une femme qui se demande si elle est enceinte commence à observer le retour de ses règles au 25ème jour depuis la fin des règles précédentes et, si nécessaire, prolonge l’observation une bonne semaine. Il est vraisemblable qu’un rite d’observation de la disparition et de la réapparition de la lune se soit amalgamé à des rites réputés favorables à la fécondité, populaires chez les femmes, païennes ou juives.

Le deuxième livre des Macchabées, écrit directement en grec, commence par des épîtres adressées de Jérusalem aux Juifs d’Égypte pour leur demander de célébrer la fête du 25 Kislev, date de la purification du Temple. Mais encore une fois, celle-ci est reliée à une profanation antérieure. 2Mac 10-6 : "Le jour où le Temple fut profané par des étrangers fut lui-même le jour de la purification du temple, le 25 de cette lunaison, celle de Kislev. Ils fêtent dans la joie huit jours." A la fin du neuvième mois de grossesse, une femme enceinte attend la naissance d’un enfant ([4]). Et la circoncision, prescrite à Abraham en Genèse 17, se pratique au huitième jour, une semaine après la naissance d’un petit garçon.

La dynastie hasmonéenne, à la légitimité contestée, a fait de Hanoukka une fête nationale, exaltant les exploits militaires de son fondateur Judah Macchabée, dans la continuité de pratiques attestées, celle de Néhémie, restaurateur du Second Temple, du roi Salomon, constructeur du Premier Temple, et de Moïse, qui avait inauguré le Tabernacle du Désert. La durée de huit jours est ainsi reprise de l'inauguration du Premier Temple par Salomon (1Rois, 8-66). Le mot Hanoukat, ENKT, est utilisé pour la Dédicace du Tabernacle dans le désert au chapitre 7 des Nombres. Mais la date de l'inauguration est le 1er Nisân (Exode 40, 2) : "Le premier jour du premier mois, tu dresseras la Demeure, la Tente du Rendez-vous". En Nisân, lune de l’équinoxe de printemps, il y a le 1er l'Inauguration du Tabernacle, le 10 le choix de l'agneau pascal et le 14 au soir commence Pessah', fête des Azymes, qui commémore la Sortie d’Égypte. En Tichri, lune de l’équinoxe d’automne, il y a le 1er Roch Hachanah, le 10 Yom Kippour, Grand Pardon, et le 14 au soir commence Soukkot, fête des Cabanes, qui commémore la traversée du Désert.

 

Construire un enfant

Le parallèle entre la naissance d’un enfant et la construction du Temple est lié à la métaphore construction/ procréation/ éducation, consubstantielle à l'hébreu biblique, et dont la trace en français est le double sens du mot « enceinte ». En hébreu, ABN, Even, veut dire "pierre" et peut se décomposer en AB-BN, père-fils ; BT, bat, "fille", est proche de BYT, bayt, "maison" (et de "bâtir" en français). Il y a dans la Bible hébraïque d’innombrables assonances et allitérations qui jouent sur cette métaphore mais qui disparaissent dans toute traduction. Pour commencer, celle-ci (Genèse 4, 17) : "Caïn connut sa femme. Elle conçut et enfanta Hénok. Il bâtit (BNH, boneh) une ville et il donna à la ville le nom de son fils (BNW, b’no) Hénok ". Pour une ville, inaugurer et nommer vont de pair. Pour un petit garçon, circoncire et nommer vont de pair, comme il est dit en Luc 2, 21 « Et lorsque furent accomplis les huit jours pour sa circoncision, il fut appelé du nom de Jésus, nom indiqué par l'ange avant sa conception. » La circoncision, c’est l’inauguration d’un fils. Placer la Nativité au 25 décembre place la Circoncision au 1er janvier, Inauguration de l’An, si décembre a 31 jours et si l’année commence en janvier. Tant pis si les noms de septembre, octobre, novembre, décembre deviennent caducs.  

La dynastie hasmonéenne s’étant indécemment hellénisée, les Livres des Macchabées ne seront pas inscrits au canon juif. Mais la popularité de la fête conduira les rabbins à conserver Hanoukka, fête du retour de la Lumière, au 25 Kislev. On la justifiera par le miracle de la fiole d'huile, qui permet au chandelier du Temple purifié de brûler huit jours ; par l’observation que le mot 'Or, AWR, Lumière (YHY AWR, Yehi ‘Or, Que la Lumière soit) est le 25ème de la Torah ; et par la tradition qui veut qu’Adam ayant été créé le Sixième jour, à Roch Hachana, vendredi 1er Tichri, la Lumière, elle, l’ait été le Premier Jour, soit le dimanche 25 du «  mois » précédent, si celui-ci a 29 jours.

Ces comptes à rebours, du Premier de l’an au 25 du mois précédent, tout comme les jours de l’ « Avent » (Noël) des Chrétiens, tout comme les pratiques romaines de compter les jours jusqu’aux Calendes, jusqu’au Ides, jusqu’aux Nones,  imitent ce qu’ont fait, font et feront toutes les futures mères, attendre le retour de leurs règles, et ce qu’ont fait, font et feront tous les futurs parents, compter les jours et prier le Ciel jusqu’à une heureuse délivrance.

 

Une année de 364 jours

Hanoukka, ENWKH, fête de l'inauguration du Temple, renvoie à Hénok, ENWK, l'Inaugurateur ([5]). Il y a Hénok, fils de Caïn, qui inaugure la nomination des lieux, et Hénok, fils de Jéred, qui inaugure le décompte des temps, septième des patriarches de la lignée dont Adam est le premier et Noé le dixième. Genèse 5, 23 et 24 : "Hénok a vécu en tout trois cent soixante cinq ans. Hénok a marché avec Dieu et il n'a plus été là car Dieu l'a pris ". Hénok est le seul personnage dont le Pentateuque ne dit pas explicitement qu'il est mort : il a disparu. Dans la littérature « intertestamentaire » ([6]) qui s’était développée dans l’Alexandrie hellénistique depuis la traduction de la Septante, tout un cycle est placé sous le patronage d’Hénok. Il comprend notamment les livres d'Hénok et des Jubilés.

Dans ces livres, la lune est disqualifiée pour mesurer le temps. Hénok VI, 36 : "Il y en aura qui observeront attentivement la lune, mais elle trouble les saisons, elle a dix jours d'avance sur chaque année ". Dix jours, et non onze, parce que l’année a … 364 jours.  Jubilés 6-32 : "Trois cent soixante-quatre jours forment une année complète ". Cette dernière citation est accompagnée de la principale vertu du nombre 364 : "le total des jours forme cinquante-deux semaines, chaque saison compte treize semaines ". L'année a exactement 52 semaines, 364 jours, quatre saisons de treize semaines, 91 jours (trois mois de 30, 30 et 31 jours) dans lesquels les jours de la semaine se reproduisent à l’identique.

En plaçant l’équinoxe le 25 mars et en mettant en tête de l’année les mois de janvier et février, qui ont ensemble 59 jours (31 et 28), Sosigène met l’équinoxe - fécondation à la fin de la douzième semaine, au 84ème jour, comme Hanoukka est à la fin de la douzième semaine après le 1er Tichri. Il y a alors une grossesse de trois saisons, trente-neuf semaines, jusqu’au solstice d’hiver, le 25 décembre, et une dernière semaine jusqu’à la Circoncision, le 1er janvier ([7]). Ajoutons que le rite de purification de la mère d’un garçon, prescrit par Lévitique 12, se place le 40ème jour de la naissance, 33 jours après la Circoncision, soit le 2 février que nous avons conservé sous le nom de Chandeleur. Peut-être Sosigène était-il aussi habile gynécologue qu’astronome. Plus vraisemblablement, il entérine un rite de judaïsants hellénistiques qui respectent les prescriptions bibliques de la circoncision (Brit Mila) et de la pureté conjugale (Niddah) mais utilisent un calendrier solaire.

 

Pourim, fête des Hasards

Si Hanoukka commémorait au neuvième mois une naissance, quand se placerait la conception correspondante ? Évidemment dans le mois « zéro », celui qui précède le printemps. La Pleine Lune qui précède celle de Pessah', le 14 Nisân, c'est le 14 Adar, jour de Pourim, prescrite par le Livre d’Esther. Quand on intercale une treizième lune, un deuxième Adar, Pourim est fixée au 14 de ce deuxième Adar. Pourim est donc toujours à la Pleine lune qui précède celle de Pessah'. Si on décide que la Pleine Lune de Nisân est celle qui suit l’équinoxe de printemps, alors Pourim est celle qui le précède, ce qui donne une définition purement astronomique des dates des deux fêtes.

Pourim, ce sont les sorts, les hasards, les aléas. Quoi de plus aléatoire que la conception d’un enfant ? Dans le texte du Rouleau d'Esther, le jour tiré au sort par Aman pour l’extermination des Juifs est le 13 Adar. Mais Pourim est instituée les 14 et 15 : les Juifs de Suse célèbrent la fête le 15, et ceux des "villes ouvertes" la célèbrent le 14 (Esther 9-18). Dans la tradition juive, cette distinction a été maintenue entre la date de Pourim dans les villes ouvertes, non fortifiées, et dans "les villes entourées de murailles à l'époque de Josué, fils de Noun ". Il s’agit encore de la même métaphore : le 13 Adar, date tirée au sort, a lieu le rapport sexuel fécondant, dont l’issue est incertaine. Le 14, les "villes ouvertes", les femmes non fécondées, dont le cycle va se poursuivre, font la fête, mais le 15, les "villes fortifiées", les femmes "enceintes", se distinguent du lot : dans deux semaines, les règles ne seront pas au rendez-vous, et pour neuf mois, elles sont peut-être porteuses du Messie…

Que vient faire Josué, fils de Noun, dans cette histoire ? Josué est celui qui met en application le commandement du cycle hebdomadaire : sept jours durant, il fait sonner les trompettes autour des murailles de Jéricho, épisode dans lequel Rahab, la prostituée, accueille les deux espions envoyés avant le siège et qui est ensuite sauvée (Josué 6). Une femme qui couche avec deux hommes la même nuit a un vrai problème : qui est le père d'un éventuel enfant ? Or le septième jour, quand s’écroulent les murailles, elle tombe enceinte.

Reste à fixer le premier Chabbat : Josué dit en présence d'Israël : " Soleil, arrête-toi sur Gabaôn, et toi, lune, sur la vallée d'Ayyalôn! " Il n'y a pas eu de journée pareille, ni avant ni depuis, où Yahvé ait obéi à la voix d'un homme (Josué 10-12 et 14). Aujourd'hui, ce cycle est universel : qui a mis en cause que le 1er janvier 2000 soit tombé un samedi ? Personne n’a jamais modifié le rythme du Chabbat inauguré par Josué. 

 

Un Bureau universel des Longitudes

Les cycles solaires, lunaires et féminins relèvent des sciences astronomiques et médicales et non de la religion. Je rêve d’une association internationale qui se consacrerait à l’histoire des pratiques calendaires, qui expliquent bien des schismes et hérésies. Elle publierait les éphémérides solaires et lunaires et inviterait les chrétiens à unifier la date de Pâques ([8]), les musulmans celles du début et de la fin du Ramadan et les juifs à vérifier les années d’intercalation d’une treizième lune. Elle observerait enfin le ciel à l’aplomb du Saint des Saints et du Dôme du Rocher, sur l’Esplanade des Mosquées, à Yeruchalaïm, ville de toutes les paix.

 

([1]) Voir sur ce point le remarquable site de Jean Miart : www.ensemble-fr.com/~scaliger

([2]) Les citations et concordances bibliques de  ce texte, Ancien et Nouveau Testament, sont extraites de Jean-Claude Lévy. La Bible de Jérusalem. Cédérom multilingue (hébreu, grec, latin, anglais, français). Version 3. Les Temps Qui Courent. Editions du Cerf 1995. Une version 4 a été publiée en 1999.

([3]) Sylvie Anne Goldberg : La Clepsydre. Essai sur la pluralité des temps dans le judaïsme, Albin Michel, 2000, p. 269.

([4]) Le Ramadan est aussi la neuvième lune du calendrier musulman.

([5]) Je ne résiste pas à la tentation de suggérer l’orthographe « hénokurer ».

([6]) La Bible. Ecrits intertestamentaires. Sous la direction d'André DUPONT-SOMMER et Marc PHILONENKO. Traduction, présentation et notes des livres d'Hénoch et des Jubilés par André CAQUOT. Gallimard, La Pléiade, 1987, 1900 pages.

([7]) Les amateurs de « guématrie » s’émerveilleront qu’Hénok,  ENWK (8 + 50 + 6 + 20) ait pour valeur 84, tout comme Yada’, YDŒ, « connaître » au sens biblique ( 10 + 4 + 70 ).

([8]) Voir sur ce sujet la page du Conseil œcuménique des Eglises, wcc-coe.org .


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