Intégrer les immigrés aux …
étrangers
Novembre 2001
Michel Louis Lévy
Tout porte à penser que les flux migratoires dirigés vers
l'Occident vont s'accroître. Quoique en lent ralentissement, la croissance
de la population des pays pauvres reste vive, y compris sur la rive sud de
la Méditerranée. De plus, dans un monde fragmenté, d'abord par la
dislocation des Empires coloniaux, puis par celles de l’Union soviétique et
de la Yougoslavie, les disparités de niveaux de vie de systèmes éducatifs,
de protection sociale, s'approfondissent, y compris entre pays voisins comme
l'Allemagne et la Pologne, l'Espagne et le Maroc, les États-Unis et le
Mexique. Diffusée à l'échelle mondiale, l'image du way of life
occidental exerce sur l'imaginaire des peuples un attrait aussi fort que
jadis l'Eldorado sur les conquistadores ou la Statue de la Liberté
sur les migrants transatlantiques du 19e siècle.
La création chaotique de nouveaux États et la misère institutionnelle de
beaucoup d'autres, d'une part, l'abondance des migrations volontaires ou
forcées d'autre part, sont deux faces d'un même phénomène qui marque
désormais les relations internationales.
Le droit de s'établir
Pourquoi la France découragerait-elle ceux qui la
choisissent pour destination ? En exergue du Code civil, Portalis avait
écrit : " Pourquoi refuserions-nous ceux que tant de motifs peuvent
attirer sous le plus heureux des climats et qui , étrangers à la France par
leur naissance, cesseraient de l'être par leur choix ? " De même
Bernard Stasi a écrit que l'immigration était "une chance pour la France
". C'est aussi un honneur, puisqu'elle implique un hommage rendu à
l'excellence d'une société.
Encore faut-il savoir de quoi on parle. Entrer en France,
s'établir en France, devenir français sont choses fort différentes. Des
millions de personnes entrent chaque année en France sans avoir du tout
l'intention de s'y installer : touristes, voyageurs, étudiants, ouvriers
saisonniers, commerçants, hommes d'affaires, les raisons ne manquent pas.
L'afflux est tel que les services des contrôles aux frontières doivent se
contenter à l'entrée de procédures déclaratives qu'ils ne vérifient que de
loin en loin, et qu'ils sont contraints de négliger complètement la sortie.
Immigrer, c'est autre chose ; c'est s’installer dans un
nouveau lieu de résidence. La distinction est certes floue : les courts
séjours deviennent quelquefois longs (pour les statisticiens, la durée
limite est le plus souvent de un an), et les "petits boulots" correspondants
- du pompiste de nuit à la baby-sitter - ne sont pas tous
régulièrement déclarés au fisc, à la Sécurité sociale et à l'Office des
migrations internationales. Mais il serait cependant abusif de considérer
comme des "immigrés clandestins" les personnes entrées régulièrement, avec
un passeport, voire un visa, et ayant prolongé leur séjour au delà de la
durée autorisée. Tout au plus peut-on les qualifier d'immigrés irréguliers.
De toute façon, au sein d'une Union européenne ouverte
sur ses voisins, la France, moins densément peuplée que la plupart de ses
partenaires, ne saurait accueillir qu'avec faveur de nouveaux immigrants
qui, comme en tout pays développé, sont le plus souvent des gens courageux,
prêts à travailler pour des salaires - directs et indirects - inférieurs
aux normes locales, à parler la langue du pays, à respecter l’essentiel des
lois, réglements et usages locaux, et, si on veut bien leur donner leur
chance, désireux de monter dans l'échelle sociale.
La nécessité de filtrer
N'importe qui peut sans doute prétendre s'établir en
France. Encore faut-il vérifier son identité et ses motivations. Dès lors
que cette vérification a lieu, il faut s'attendre qu'elle puisse aboutir à
un refus : non, nous vous refusons le droit de vous établir en France. Toute
politique d'immigration n'est complète que si elle explique sous quels
critères, aussi objectifs que possible, la France peut être amenée à refuser
la possibilité d'établissement. C'est que le problème de
l'immigration n'est pas dans son principe, mais dans sa masse. Selon la
formule, proche du truisme, de Michel Rocard, "la France ne peut
accueillir toute la misère du monde ", pas plus qu’aucun pays. Quand
bien même la France accueillerait 200 000 ou 300 000 immigrés par an, cela
ne pèsera pas lourd par rapport à la demande potentielle. La nécessité de
filtrer reste entière.
La nationalité d'origine est le critère fondamental, qui
introduit un tiers, à savoir le pays d'origine, entre la France, État de
droit, et le candidat à l'immigration. De ce point de vue, la situation
présente diffère complètement de celle prévalant lors des précédentes vagues
d'immigration qu'a connues la France. Beaucoup assimilent la défense de
l'immigration et celle des Droits de l'Homme, en se référant à leur propre
cas, à celui de leurs parents ou de proches. Il est vrai que la France a
accueilli, indépendamment même de tout droit d'asile, des millions de gens
préférant la liberté républicaine aux variantes du despotisme que furent
l'U.R.S.S., les dictatures d'Europe centrale, l'Italie fasciste, l'Allemagne
hitlérienne, l'Espagne franquiste, le Portugal de Salazar, etc. Elle a
accueilli aussi des habitants de son propre Empire préférant la pauvreté
métropolitaine à la misère coloniale. Mais la situation géopolitique
contemporaine n'a plus rien à voir avec celle qui créait ces flux de
migrants. La planète s'est couverte aujourd'hui d'un maillage serré de pays
indépendants, représentés aux Nations Unies, avec lesquels la France
entretient des relations diplomatiques et consulaires. Bien sûr, leurs
institutions politiques et leur homogénéité sociologique sont très variées.
Mais les progrès sont suffisamment établis aujourd'hui pour que la France
puisse poser comme principe fondamental que toute demande d'établissement
en France doit être présentée dans le pays d'origine, sauf négociations
préalables entre chancelleries, comme celles de l'accord de Schengen, étant
entendu par ailleurs que le cas des réfugiés et apatrides fait l'objet de
dispositions particulières, aussi généreuses que possible. Le droit de
s'établir en France, ou de devenir français, est d'abord soumis à un droit
réciproque, celui des Français de s'établir chez le quémandeur et d'acquérir
sa nationalité. Mais il suppose surtout un désir de communication avec la
langue française, et plus généralement avec la loi, les mœurs, la
civilisation françaises.
Pour ceux entrés grâce à l'absence de contrôle, la
présence en France ne crée aucun droit. L'adoption du principe selon lequel
les formalités doivent être commencées dans le pays d'origine justifie
l'obligation d'y retourner. A tous les resquilleurs, il est normal
d'enjoindre : "prenez la queue, comme tout le monde!". Le délit de l'immigré
irrégulier lui-même n’est pas dans sa présence. L’expulsion est une façon
d'exiger la reprise des formalités régulières d'immigration, mais ce n'est
pas une interdiction définitive de séjour. Il arrive d’ores et déjà que les
policiers reconduisant à l'avion quelque expulsé sympathique lui tapent sur
l'épaule en lui disant "à bientôt!" La rigueur de la loi doit évidemment
frapper avant tout les profiteurs de la misère du monde : transporteurs
clandestins, marchands de sommeil, employeurs "au noir", trafiquants de
drogues ou d'esclaves...
L'accès à la sécurité sociale
Un droit nouveau, à construire, devra s'efforcer de
rendre les migrations aussi bénéfiques pour les pays de départ que
bienvenues dans les pays d'accueil. L'essentiel est que les émigrants
gardent des liens avec leur pays d'origine, le fassent profiter par exemple
de la formation qu'ils acquièrent et plus généralement contribuent à
accélérer son accès à la modernité, notamment pour ce qui concerne les
rapports entre sexes et les comportements de fécondité. Dans les relations
internationales du 21e siècle, les mouvements de population
vont être un objet de négociation. Les Etats ont à organiser la circulation
des marchandises et des capitaux, mais aussi celle des informations et des
hommes, en négociant une gamme d'accords d’aide au développement, mélant
diplomatie, économie, démographie et pédagogie, par exemple pour l'échange
d'étudiants et d'enseignants, la reconnaissance mutuelle de diplômes, la
possibilité de valorisation d'une qualification professionnelle dans des
entreprises étrangères, ou l'exercice des droits à l’assurance-maladie et à
la retraite.
Les étrangers travaillant en France accèdent en effet à
toutes sortes de droits. qu'ils soient salariés d'entreprises, installés à
leur compte ou employeurs. C'est le fait de travailler et de payer les
cotisations correspondantes qui donne ainsi accès à la Sécurité sociale,
indépendamment de tout critère de nationalité. Plus significatives pour
l'économie que les entrées dans le territoire (immigration) ou dans la
nationalité (naturalisation) sont les entrées dans le système de Sécurité
sociale, non seulement pour les nouveaux salariés, mais aussi pour leurs "ayant
droit", conjoints et enfants. Il est donc fondamental de rendre rigoureuses
les règles d'accès, non seulement pour les étrangers, mais aussi pour les
travailleurs autochtones. En notre temps de chômage et de travail précaire,
ces règles sont devenues obscures. Est particulièrement flou le statut des
jeunes gens, à la charge de leurs parents ou non, étudiants ou apprentis, en
emploi intermittent ou en stage, vivant ou non en couple… A côté de "l'état
civil" s'est créé un "état social", qui peut en être distinct. Le
concubinage et aujourd'hui le pacs valent ainsi mariage aux yeux de la
Sécurité sociale, ce qui conduit à tolérer certaines "polygamies" qui ne
sont pas toutes d'origine exotique. Sans attendre une hypothétique
harmonisation européenne, il est temps de profiter de l'embellie
conjoncturelle pour mettre fin au "laxisme" de la Sécurité sociale, qui
profite aux plus malins, qui sont souvent français, et non aux plus
défavorisés, qui sont souvent étrangers. Nous avons suggéré dans cette
revue une vaste réforme (),
incluant un recensement des assurés et de leurs ayant-droit, et
l'organisation, sous contrôle de la CNIL, d'un réseau de fichiers
régionalisés des grandes caisses de Sécurité sociale - maladie, vieillesse,
famille. Au temps d'Internet, il n'y a pas de raison que les banques et
compagnies d'assurances privées soient seules à fonder leur gestion sur des
avancées techniques et des investissements, y compris éducatifs, qui ont été
financés par la collectivité nationale. Ces progrès informatiques seront
d'autant mieux acceptés qu'ils contribueront à accroître la transparence des
transformations du peuplement. Il faudrait par exemple publier, chaque année,
un Rapport sur la situation démographique largement régionalisé, qui
ferait une large place à une politique familiale rénovée, aux migrations
internes et extérieures et qui afficherait des prévisions cohérentes
d'immigration par pays d'origine et région de destination. Politique de
population, Sécurité sociale et diplomatie vont tendre à s'interpénétrer.
Autant l'afficher explicitement.
Limiter les
naturalisations
On dit "naturalisation" et non "nationalisation" parce
que la naturalisation transforme un étranger en "naturel" du lieu. C'est une
imitation de la nature, c'est donc un acte aussi peu réversible que la
naissance et la croissance. Une petite cérémonie à la mairie, comme en de
nombreux pays, devrait solenniser cette entrée dans la nation française.
Symétriquement il paraît souvent puéril de prétendre intégrer directement
les immigrés de toutes origines au peuple français et de les naturaliser par
quelque coup de baguette magique administrative. Il est plus réaliste
d’intégrer les immigrés… aux étrangers, étant entendu que l’important est
d'administrer ceux-ci équitablement. Dans ce domaine, l'équité consiste à
surprotéger d'abord ceux qui n'ont pas de passeport (réfugiés, apatrides),
ensuite ceux qui ont un passeport de pays pauvre et sous-administré. Les
pays riches savent défendre leurs ressortissants.
La politique visant à accueillir des étrangers n'implique
donc pas que l'entrée dans la nationalité doive être systématiquement
encouragée, ni même proposée comme un aboutissement. Entrer en France, pour
y travailler et pour y vivre, n'est pas forcément devenir citoyen français.
Il n'y a aucun mal à rester étranger en France. Changer de nationalité est
un choix individuel, qui dépend des circonstances professionnelles et
familiales et implique un engagement psychologique sérieux.
Quant aux mécanismes juridiques et sociologiques du « droit
du sol » et du « droit du sang », ils pourraient être plus simples à
expliquer si on voulait bien dédramatiser ces appellations. On devrait
plutôt parler, par exemple, de « droit de l’école » et de « droit de la
filiation ». Le droit du sol, ce n’est pas seulement le lieu de naissance
qui peut être accidentel, c’est l’endroit où l’enfant va à l’école et où il
se socialise. Le droit de la filiation, c’est celui qu’ont les parents à
donner leur nationalité à leur enfant. L'Allemagne donne une prépondérance
au droit du sang et la France au droit du sol. Mais prépondérance n'est pas
exclusivité.
Tenir compte des sensibilités variées à l'égard des
étrangers des diverses origines sera une raison supplémentaire de modifier
l'articulation entre les pouvoirs nationaux et les pouvoirs régionaux et
locaux. Le pays centralisé qu'est la France devrait accepter une certaine
dose de fédéralisme. La citoyenneté locale, incluant droit de résidence,
droit au travail et droit de vote local, devrait être mieux distinguée de la
nationalité (incluant le droit de vote national) et dépendre en particulier
de l'ancienneté de la résidence paisible. Les programmes de coopération et
d'aide au développement s'orienteront vers les pays d'où proviennent les
immigrés en France. Les jumelages entre municipalités permettraient
l'assistance en matière de tenue de registres d'état civil et de listes
électorales.
Cette politique obstinée viserait à convaincre l'opinion
publique, par la pédagogie et l'expérience, que l'immigration et la présence
d’étrangers, tout comme l’émigration et la présence de citoyens à l’étranger
sont des phénomènes aussi normaux que la respiration d’un être vivant, dont
il n'y a pas plus à parler que des trains qui arrivent à l'heure et des
saisons qui se succèdent. Il faut sans doute augmenter les moyens des
administrations "de guichet", celles où se présentent les candidats à
l'immigration, ce qui aura, au passage, d'heureux effets sur la connaissance
statistique des flux migratoires. Il faut aussi réaffirmer, moderniser au
besoin, enseigner et mettre en valeur les règles du Code Civil, notamment
toutes celles concernant le mariage, le couple et l'égalité des sexes.
La
laïcité de l'école
L'école et
les média ont un rôle fondamental à jouer dans la présentation des mœurs des
populations des pays d'où provient l'immigration, et dans leur bonne
compréhension. Mais cela suppose de mobiliser les Universités et les
établissements de recherche sur un vaste chantier, pour redonner un sens au
beau mot d’humanités, au pluriel, qui désignait l’enseignement que
recevaient autrefois les jeunes bacheliers. Tout comme l'étude des langues
étrangères ne peut se faire qu'après celle du français, la compréhension des
civilisations du vaste monde, jadis et ailleurs, commence par celle de ce
pays, ici et maintenant.
Les systèmes
anthropologiques et les rites familiaux majoritaires en France, sont issus
d'un héritage tant gréco-latin que judéo-chrétien. Il est donc fondamental
que la laïcité à la française se départisse de son hostilité aux discours
religieux, venue de son origine anticléricale, et adopte une attitude
positive et concrète à l'égard des religions bibliques : la Déclaration
des droits de l'Homme et du Citoyen ne peut s'étudier sans référence au
Décalogue de l'Ancien Testament et à l'Épitre aux Galates, ni l'état
civil laïque sans référence aux registres catholiques … La laïcité à la
française, pourrait-on dire, est au protestantisme ce que celui-ci est au
catholicisme : un schisme né dans la violence mais qui a engendré une
nouvelle religion chrétienne… Chrétienne, la laïcité l'est évidemment
lorsqu'elle réduit l'appartenance religieuse à la croyance, à la foi, à
l'opinion, sur le mode de l'article 10 de la Déclaration des Droits de
l'Homme (),
négligeant des pratiques anthropologiques et familiales qui peuvent
contredire les lois et coutumes françaises. Lorsque Napoléon entreprit
d'intégrer les juifs à la France, il interrogea une Assemblée de notables,
dite abusivement Sanhedrin, pour résoudre diverses difficultés comme
la célébration des mariages et le service militaire. La République a essayé
sans grand succès de transposer la méthode à l'Islam, mais le type de
problèmes à résoudre est le même, comme l'ont montré les travaux de Michèle
Tribalat ().
Je suggère que la France essaye de négocier avec les pays musulmans la
lecture des Codes civils respectifs qui serait faite à la mairie lors des
mariages impliquant au moins un de leurs ressortissants ou encore quelle
présentation des civilisations respectives pourrait être faite dans les
différents cycles de l'enseignement.
Pâques et le
Ramadan
Il ne
faudrait plus hésiter à comparer, non les dogmes, mais les pratiques
effectives, les rites, les calendriers, ce qui conduirait à des cours
combinant l’astronomie élémentaire, la linguistique, l’anthropologie
familiale, l’histoire des civilisations et des religions. Le lycée pourrait
expliquer les approximations de l’année julienne et de l’année grégorienne,
les phases de la lune, les fluctuations de la date de Pâques, la date du
Ramadan et celle du Nouvel an chinois, dire où, en Europe et autour de la
Méditerranée, on parle une langue latine, germanique, slave,
finno-ougrienne, arabe, où on écrit en caractères latins, cyrilliques,
grecs, arabes…Voilà une forme moderne d'instruction civique, où on comparera
librement les institutions, les fêtes et calendriers, les rites religieux,
les langues et écritures, et les motivations de bon nombre d’immigrés.
Beaucoup d'instituteurs ont déjà trouvé dans la recherche généalogique une
façon de faire faire connaissance à leurs élèves, originaires de différents
pays et milieux sociaux. Reste à leur fournir une solide documentation.
Il n'y a pas à dissimuler, par exemple, que l'Islam offre
à la modernisation une résistance plus forte que celle qu'ont également
présentée, en leurs temps et en leurs lieux, les diverses formes de
christianisme. Tous les systèmes religieux, venus du fond des âges, exaltent
la fécondité et la procréation. Celles-ci furent essentielles, pendant des
millénaires, à la survie de l'espèce affrontée aux rigueurs des épidémies et
des famines. Mais le Coran ne contient pas l'équivalent du Décalogue. Le
fidèle est directement soumis à la Divinité, sans entremise d'aucune Loi ni
de ses interprètes, d'où les rivalités entre tribus et pays. De même,
l'Islam met sur le même plan la filiation naturelle d'Ismaël et la filiation
"légitime" d'Isaac. Il ignore du coup la paternité sociale symbolisée par "Dieu
le Père" des religions bibliques, ce qui exalte la virilité et expose la
vertu des femmes à une suspicion dont découlent nécessairement la soumission
des filles à leur père, des sœurs à leurs frères et des épouses à leur mari,
et diverses réticences portant sur la scolarisation des filles, la
diminution de l'écart d'âge au mariage, l'exogamie familiale et le libre
choix du conjoint, sur l'accès égal à l'héritage, sur l'abolition de la
polygamie (importante en Afrique Noire, rare dans les pays arabes) … Le
statut de la femme est de ce fait le principal obstacle sur lequel bute
aussi bien la modernisation des pays musulmans que l'assimilation des
originaires de ces pays émigrés dans le monde occidental. Ni l'une ni
l'autre ne sont certes impossibles ().
Mais elles nécessitent du temps, de l'intelligence et du courage, celui des
femmes en particulier. Celui aussi des élites musulmanes, qu'on aimerait
entendre plus souvent dénoncer l'agressivité des discours qui sévissent dans
bon nombre de mosquées.
Dans un monde qui ne
craint plus l'explosion démographique, mais entrevoit au contraire au bout
du nouveau siècle la stabilisation des effectifs humains, l'aide aux pays
"en voie de développement" devrait faire place à l'assistance à la création
et au renforcement des nouveaux États… et de beaucoup d'anciens. Celle-ci
rend nécessaire au passage la remise en ordre de "notre cher et vieux pays"
et la redéfinition de ses valeurs. Le pessimiste peut voir là un “vaste
programme”, hors d'atteinte, mais l'optimiste a le droit de compter sur la
sagesse des hommes confrontée à la nécessité des temps.
Michel Louis LÉVY, statisticien et démographe, était jusqu'en 2000 rédacteur
en chef du bulletin Population & Sociétés de l'Institut national
d'Études démographiques. Membre du Haut Conseil de la Population et de la
Famille, auteur de Déchiffrer la démographie (Syros, 1998), il
est aujourd'hui rédacteur en chef des Annales des Mines.
" Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu
que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi "