Le responsable des attentats contre les
ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie est bien connu : cest le
« procureur indépendant » Kenneth Starr. Qui dautre en effet, privant
le Président des États-Unis de sa légitimité et sapant ainsi lautorité de celui
qui parle et agit au nom du peuple américain, détruit lautorité et finalement la
sécurité du peuple américain lui-même ?
Il serait temps que les intellectuels et les pédagogues occidentaux
réapprennent le caractère sacré et religieux des institutions politiques. Si vous
commencez à insinuer que le Président des États-Unis nest pas légitime, ce sont
toutes les décisions quil prend que vous suspectez dirrégularité. De même,
si vous commencez à insinuer que lélection de Jacques Chirac est due à des
facilités coupables que lui auraient valu ses anciennes fonctions de Maire de Paris, vous
faites vaciller la légitimité de tous ceux quil a nommé, à commencer par celle
de ses deux Premiers Ministres successifs (), et de proche en proche, toutes les
institutions de la République. Quelles quont été les privautés choquantes de
Bill Clinton avec Monica Lewinski et quelques autres, quelles quaient été les
facilités de Jacques Chirac dans sa campagne électorale, ces responsables suprêmes, qui
« incarnent » leur pays et parlent en leur nom, devraient bénéficier, une
fois nommés et proclamés, dune immunité aussi étendue que possible quant à
leurs actes de personnes privées, pendant lexercice de leurs fonctions. Victor
Hugo, qui nétait que Pair de France, ne pouvait-il pas tromper impunément sa femme
légitime Adèle Foucher avec sa maîtresse Juliette Drouet, tant quil nétait
pas pris en flagrant délit ?
Cette notion de légitimité repose non pas sur la vérité des faits -
ce serait la légalité - mais sur leur acceptation à la fois par les intéressés et par
lopinion publique. Elle sapplique dans deux cas bien précis : le pouvoir
et la paternité. Ces deux concepts se confondaient quand la royauté était
héréditaire : cest pourquoi les reines de France accouchaient en public, pour
que personne ne vienne mettre en doute lidentité du lhéritier du trône,
cest pourquoi la même autorité religieuse, lÉglise catholique, apostolique
et romaine, procédait aux « sacrements » du mariage et du baptême, au
« sacre » des rois et à la « légitimation » des bâtards royaux.
Cest dans cette optique que lécole laïque devrait
enseigner lhistoire dIsmaël et Isaac. Ismaël est le fils biologique,
« naturel » dAbraham et de sa servante Agar, qui est abandonné et
recommandé à la grâce de Dieu (Allah est grand), tandis qu'Isaac est le
fils légitime, annoncé à sa femme Sarah. Cest ce dernier qui recevra l'héritage,
l'enseignement et la sagesse de son père. Jamais il n'est précisé qu'Abraham "soit
allé vers" sa femme comme vers Agar. D'ailleurs quand Sarah apprend sa prochaine
maternité, elle éclate du rire qui donne son nom à Itzhaq (onomatopée signifiant
"il rira") en disant qu'elle n'a plus ni règles, ni plaisir avec son mari trop
vieux (Ge. 18, 11-12). Il est logique qu'Abraham ait ensuite quelque doute que cet enfant
« pour rire » soit bien son fils, et qu'il soit bien près de le sacrifier,
cest à dire de renoncer à sa paternité, mais la vision de son propre poignard lui
rappelle le cordon ombilical : l'enfant de sa femme légitime est son fils légitime ().
Au verset 22 du chapitre 18 de la Genèse, pendant que Sarah est
enceinte d'Isaac, se mettent en place les deux interlocuteurs d'un prodigieux marchandage,
qui va établir la nécessité minimale de Dix Justes pour sauver Sodome et assurer la
continuité de la ville. Le Texte original dit que lÉternel se tient devant
Abraham. Par révérence, les scribes hébreux ont interverti : ils ont écrit qu'Abraham
se tient devant lÉternel, tout en gardant trace de cette correction. Cela fonde la
transcendance de tous les tribunaux du monde qui, tranchant selon la loi, mettent de
l'ordre là où règne la confusion. De fait, en matière de filiation, il arrive que la
biologie elle-même, qui relève du divin, s'incline devant la sentence du tribunal
humain et lautorité de la chose jugée. Aujourd'hui des rumeurs prétendent qu'une
part non négligeable des premiers-nés légitimes ne sont pas de leur père officiel. Nul
doute que la révélation de la Vérité biologique troublerait non seulement l'ordre
public, mais aussi la stabilité psychologique des intéressés.
Cest sur ce point essentiel quIsaac se sépare
dIsmaël. Père des jumeaux Jacob, futur Israël, et Esaü, au nom proche de Jésus,
Isaac symbolise le judéo-christianisme, cest-à-dire les peuples de la Bible,
reconnaissant la Loi promulguée au Sinaï, sous la forme : "Honore ton Père et ta
Mère", qu'il est loisible de traduire : "Sache qui sont ton Père et ta
Mère". Ismaël, lui, est révéré au même titre qu'Abraham et Isaac dans le Coran,
livre dans lequel il ny a pas dautre Loi que la loi naturelle. Allah
n'est jamais Dieu-le-Père, puisque chacun a un Père à la fois biologique et légal.
Les femmes ont beau promettre de n'avoir de rapport sexuel qu'avec un
seul homme, celui-ci n'a jamais de preuve absolue de cette fidélité. C'est dans cette
situation que s'élaborent les anthropologies quon peut qualifier de
"méditerranéennes" dans lesquelles la paternité n'obéit qu'à la biologie et
où règnent la sublimation des liens charnels, l'exaltation de la virilité et surtout la
suspicion sur la vertu des femmes. De cette suspicion découlent la nécessaire soumission
des filles à leur père, des surs à leurs frères et des épouses à leur mari.
Dans ce contexte, le mariage est une affaire masculine qui se règle entre père,
beau-père et gendre. La conception hors-mariage est impossible et voue aux opprobres
mère célibataire et enfant bâtard.
Les États de droit judéo-chrétien, héritiers du Décalogue,
dissocient donc le mariage "légitime", celui que reconnaît la société, et
l'union biologique, qui n'appartient qu'aux amoureux. Ils ont des règles juridiques
précises tant pour établir la paternité (notamment la règle « le mari est le
père ») que pour attribuer le pouvoir. Les autres, et notamment ceux qui
prétendent juger selon la « charia » islamique, sont impuissants devant les
vendettas privées et les violences politiques, sauf à se doter dune monarchie de
droit divin, ce qui est le cas du Japon, du Maroc ou de la Jordanie.
En allant voter pour désigner notre Président, nous reconnaissons
davance la légitimité du futur élu, de même quen disant ou en entendant
les deux « oui » du mariage nous reconnaissons davance la légitimité
des futurs enfants du couple. Nous reconnaissons de même la légitimité des autorités
élues selon des règles analogues et des parents mariés selon des rites analogues. De ce
point de vue, les « autorités françaises » (cest-à-dire le couple
légitime Chirac-Jospin !) ont eu parfaitement raison de prendre acte que les
États-Unis étaient fondés, après les attentats contre leurs ambassades, à se
considérer en « légitime défense », quitte à insister pour que les
ripostes et représailles se fassent conformément au droit international.
Le procureur Kenneth Starr, qui prend les petites amies de Bill Clinton pour autant de
Dalila, ébranle les colonnes du temple. Tous ceux qui ont la chance de voter dans des
États démocratiques établis et reconnus, tous ceux que larmée américaine
protège - en dernière analyse - notamment des menaces du terrorisme islamique, quelles
que soient leurs réserves sur tel ou tel aspect de la politique américaine, doivent
considérer sa démarche comme une folie et uvrer pour quil y soit mis fin au
plus vite.